Quand je suis arrivé en Amérique latine en 1986, Augusto Pinochet dirigeait d’un bras de fer le Chili, Alfredo Stroessner au pouvoir depuis 1954 s’imposait toujours au Paraguay, le Brésil venait de sortir du cauchemar dictatorial, l’Argentine était encore sous le choc de la junte militaire la plus triste de son histoire, et le futur Pape François n’avait aucune idée que, douze ans plus tard, il serait élevé au rang d’Archevêque de Buenos Aires. Quelles leçons ai-je apprises de mon long séjour latino-américain et de mes recherches en sciences politiques sur la transition démocratique ?
1. La transition vers la démocratie exige la défaite ou la capitulation du régime dictatorial et la destruction des symboles et vestiges de la tyrannie. La construction de la mémoire collective pro-démocratie exige une rupture avec le passé dictatorial. Comme signe de répudiation de la dictature et des crimes de lèse-humanité, en Argentine et dans le reste de l’Amérique latine, on utilise couramment l’expression « Nunca Más » (Plus Jamais !)
2. Une transition sous tutelle directe ou indirecte de la dictature sortante et de ses alliés est condamnée à l’échec, surtout dans des pays sans aucune mémoire collective de la démocratie.
3. Le processus de transition vers la démocratie est beaucoup plus compliqué si les régimes dictatoriaux passés demeurent l’unique point de repère de la conscience collective. C’est le cas de la quasi-totalité des pays africains, théâtres sui generis de pseudo-démocraties contemporaines ou « dictocraties ».
4. La transition démocratique est un processus. La défaite ou capitulation du dictateur et de son système d’appui n’en sont que le commencement. La tenue des élections, les unes après les autres, ne signifie pas automatiquement la consolidation de la démocratie.
5. La consolidation de la démocratie implique un système intelligent, efficace et transparent des partis politiques, l’indépendance des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et la subordination des militaires au pouvoir civil.
6. Le secret ou manque de transparence autour de la gestion publique en Afrique pendant les cinq dernières décennies reflète une triste réalité : l’Etat administré comme une propriété privée des dictateurs, des membres de leurs cercles restreints et de la criminalité internationale organisée. Sans transparence, la consolidation de la démocratie est pratiquement impossible en dépit de la fréquence des élections nationales et locales.
Jean Kapenda est détenteur d’une double licence en Sociologie et Sciences Politiques, d’une maîtrise en Administration Publique et d’une autre maîtrise en Justice Pénale (Criminal Justice). Il est actuellement directeur de programme et professeur de Justice Pénale à la Weber State University.